Note d’intention artistique

 

 
 

“L’utilisation des marionnettes est au centre de mon travail, mais je considère que le jeu d’acteur, la présence de la musique, l’utilisation de la lumière et de la vidéo, ainsi que le traitement de l’espace, sont des éléments tout aussi importants dans la communication de l’histoire. C’est dans la rencontre de ces différentes expressions qu’un langage étendu se crée, ouvrant à une narration multi-sensorielle.

Une histoire se comprend par les mots, mais aussi par une sensation, ou une ambiance ; le choix de matériaux et la palette de couleurs racontent une émotion, une présence sonore fait sentir une atmosphère sous-jacente, et la qualité de mouvement peut exprimer des états. Le théâtre de marionnette est une forme qui se réinvente constamment, qui traverse sans peur les frontières des autres disciplines artistiques. C’est une expression artistique qui dépasse la classification. Ce n’est pas qu’une forme, ou une technique, c’est un regard, une langue, un état d’esprit. Quand je crée un spectacle, mon point de départ est souvent une œuvre littéraire, et je travaille à traduire le texte dans un langage visuel ; à faire de l’histoire une expérience physique, où le tout raconte. À créer une réalité étendue, où l’histoire est transmise sur plusieurs niveaux parallèles ; une dramaturgie qui se construit par des strates superposées, dans une verticalité, plutôt que sur une ligne horizontale. Entrer dans une situation, ou un état spécifique, et l’utiliser comme prisme : c’est une histoire, et c’est toutes les histoires. Il est dit qu’il n’existe que sept histoires de base, et que toutes les histoires sont des variantes de celles-ci. Ce qui se change, ce qui rend l’histoire personnelle et actuelle, c’est qui raconte l’histoire, ainsi que dans quel contexte social, et surtout comment l’histoire est racontée.

Pour moi, c’est important d’avoir accès aux histoires alternatives. D’être exposée aux différents points de vue et manières de faire. Le mélange entre les différentes expressions artistiques est central dans la construction de mes spectacles. Avec les dessins en direct, Signaux s’inspirait des codes de l’art visuel. L’intégration des projections vidéo dans Cendres crée des références cinématographiques, et ma dernière création Chambre noire se situe quelque part entre spectacle et concert. L’espace flou entre faits réels et fiction me fascine. Cela permet d’ancrer l’histoire dans la réalité, tout en laissant la place au spectateur d’être co-créateur, de voir et comprendre sa propre version de l’histoire. La relation avec le public est très précieuse pour moi dans le processus même de finalisation d’un spectacle, et je continue de faire des changements et de développer le spectacle bien après la première. J’ai besoin des réactions et des rencontres avec le public pour que le spectacle trouve sa forme finale. C’est cet espace entre scène et salle qui porte la force fragile du spectacle vivant.

Aussi dans les thématiques, ce sont ces « entres » qui m’intéressent ; les transitions imperceptibles, les frontières irréversibles, les zones floues. Le fait qu’il n’y ait pas une réponse déterminée, pas de vérité en noir sur blanc, mais qu’au contraire nous soit donnée à voir la complexité de la vie, et de l’être humain. C’est le mélange impossible de failles et de forces, qui rend une histoire reconnaissable, et vraie.

Le jeu entre acteur et marionnette, et comment la double présence de l’acteur marionnettiste permet une communication sur plusieurs niveaux simultanément. Le fait d’utiliser la marionnette comme une représentation stylisée de nous-mêmes, dans une tentative de nous regarder avec un peu de distance, d’utiliser le trouble qui se crée quand le centre est déplacé et les rôles renversés, pour visualiser des thématiques complexes. Un travail qui cherche à faire sentir plus qu’à expliquer. Qui ouvre à des questions plutôt que sur des réponses. Chercher une expression pour ce que nous ne pouvons pas forcement voir, ou expliquer, mais que nous pouvons pourtant sentir, et comprendre.”

Yngvild Aspeli